Le rap français est souvent vu comme une grande table où seulement deux grosses villes se partagent le gâteau du hip hop. Paris, avec ses légendes comme NTM, Oxmo Puccino, La Scred, Lunatic, etc… et Marseille, avec IAM, la Fonky Family, le Troisième Oeil, qui font tous partie de la même “famille”. Mais Paris et Marseille n’ont pas le monopole du rap, loin de là. Si on appelle cette époque l’âge d’or du rap français, c’est parce que de nouveaux artiste incroyables faisaient leur apparition tous les 6 mois, et que la compétition était donc hyper intense entre les rappeurs, ce qui tirait tout le monde vers le haut. Au milieu des années 90, un groupe va d’ailleurs faire irruption sur la scène rap et conquérir toute la France, même si l’engouement fût de courte durée.
Ce groupe, c’est le KDD, acronyme signifiant au choix Kartel Double Détente ou Kappa Double Delta. Composé de Dadoo (ou Dad PPDA), Diesel, Lindsay, H2O et Robert, la formation nous vient tout droit de Toulouse. On le voit d’ailleurs assez rapidement à leur accent prononcé qui met de la musicalité dans un rap trop souvent “énoncé / dicté” de la même manière, en découpant les syllabes à la IAM ou NTM. Le KDD use de l’argot, mâche quelques fins de phrases, et a donc déjà une identité vocale forte, chose importante pour se démarquer en 1998. Alors que les duos pullulent, les 5 membres du Kartel avancent soudés comme les doigts de la main l’image d’un autre groupe du Sud, la FF.
Mais leur manière d’aborder le hip hop et d’en faire n’a pas grand chose à voir avec la manière marseillaise, l’ambiance est bien différente. Une manière un peu plus brutale, un peu moins mélancolique et désespérée que celle du Rat Luciano. Leur deuxième album “Résurrection”, sorti en 98, fête ses 20 ans ce mois-ci, et c’est l’occasion de replonger dans un véritable classique du rap français, qui a marqué les esprits par son côté agressif notamment.
Mentalité Queensbridge
Le premier album de KDD, “Opte pour le K”, avait relativement bien fonctionné grâce à un certain nombre de singles calibrés pour la radio, assez dansants. On ne trouve quasiment rien de tout ça sur “Résurrection”, un album à la couleur sombre et aux thèmes très street. Si longtemps les spécialistes ont désigné Lunatic comme le Mobb Deep français, KDD pourrait sans difficulté prétendre au même surnom. Car les similarités entre leur rap et ceux du groupe hardcore de Queensbridge sont nombreuses : la violence est omniprésente, les références l’univers mafieux sont très présentes, et l’humeur se ballade entre la tristesse et l’envie de prendre un gun et tout faire péter.
On le voit dès les premiers morceaux : “Résurrection” raconte une scène de racket ultra violente, en donnant des éléments du décor très visuels, exactement comme quand Prodigy parlait des bandes armées se baladant dans les rues du Queens. Avec une french touch consciente qui rappelle “Un cri court dans la nuit” de IAM. “Galaxy de glace” produit plus ou moins le même effet, un titre très sombre, un texte très “visuel”, le story-telling des toulousains est vraiment très bien fait. On s’y croirait, dans les rues dangereuses de France, à leurs côtés, attentifs et prêts à dégainer. Voilà en quoi ça ressemble beaucoup à Mobb Deep.
En utilisant un vocabulaire relativement simple et accessible, KDD a réussi à se faire comprendre par une large partie de la population. Mécontents de la manière dont ils étaient vus après “Opte pour le K”, les rappeurs ont ait demi-tour et se sont lancés dans un album beaucoup plus rugueux. Même les “hits” comme “Nouveau Combat” ou “La Rhala” sont agressifs et très punchy. Et ils ont bien fait, car c’est justement à cette période là que des groupes comme Arsenik ou Lunatic ont pu exploser, cette noirceur et cette violence étaient dans l’ère du temps.
Des éclairs de génie
L’album est relativement homogène, et il y a très peu de défauts ou même de faiblesses, à part peut-être “Masque de fer”. Mais il contient quelques coups de génie, des titres d’une pertinence telle qu’ils ont marqué une génération, offrant à KDD une vraie célébrité au point qu’ils se retrouvent à freestyler avec Havoc et Prodigy sur Generations 88.2. Parmi ces coups de génie, on a déjà mentionné “Galaxy de Glace”, mais c’est surtout “Une princesse est morte” qui avait frappé le public. Sur ce track, ils partent de la mort de Diana, une princesse anglaise sur-médiatisée selon eux, pour rendre hommage aux vraies princesses, les femmes des quartiers populaires qui tentent d’élever leurs enfants dans la pauvreté, la souffrance, et le célibat, bien souvent…
Ce sont elles les vraies princesses, pas ces parvenues qu se baladent avec 1 million d’euros de vêtements sur elles. Un morceau qui avait fait pas mal grincer des dents à l’époque. “La Rhala”, qui décrit une émeute urbaine nocturne, est également très frappant et très fort, avec cette instru hyper stressante. Les morceaux qui parlent des abus de la police, “Aspect Suspect” ou “Un Homme faible”, sont extrêmement justes, et la pression mise par les forces de l’ordre sur les jeunes des quartiers est très bien décrite. Le tout avec une vraie facilité au micro, et un sens de l’humour (un humour acide) très aiguisé.
Globalement, ce qui fait la force de ce projet, c’est sa cohérence. Que ce soit dans les thèmes abordés, la façon décrire, la façon de rapper, ou même les instrumentales, chaque choix fait par les MCs semble logique. Ça coule de source, et quand en plus, les rappeurs font preuve d’autant d’originalité (un morceau qui parle de la mort de Lady Di, vous ne trouverez ça nulle part ailleurs dans le rap), ça donne un excellent projet. On peut également mentionner les invités venus prêter main forte au Kartel Double Détente : Don Choa et Luciano sont évidemment incroyables, et Driver et Joana Varela participent au seul titre funky du projet.
Bref, un disque complet, homogène, avec des thèmes classiques et d’autres hyper originaux, abordés avec beaucoup de talent au micro et de rimes que personne d’autre n’aurait pu faire. Bref, un véritable classique, auquel on souhaite un joyeux anniversaire !