CHRONIQUE RAP
Quand on parle de rap, pour l’imaginaire commun, la première idée s’imposant à l’esprit est celle d’un jeune homme noir en bas des blocs débitant un texte au franc parler véritable, ou l’argot côtoie un langage résolument grossier. Certes, nul ne reniera que le rap est issu d’un milieu populaire mais depuis ses origines, force est de constater le changement qui s’applique. Tout change, évolue, le cycle est bien évidemment normal. Cependant, jusqu’à quel point la modification peut-elle être acceptée sans que l’on parle de perte d’identité ?
De dénigré et mis de côté, le rap est aujourd’hui le premier style de musique écouté en France. Un constat qui ne peut s’avérer que positif pour nous autres amateurs. Mais qu’en est-il de la forme et du fond du rap actuel ? Est-il toujours le même ? A l’image de ceux qu’il englobe, le rap est il un artiste parti de rien pour connaître le succès ou s’est-il brûler les ailes sous les feux des projecteurs ?
RYTHM AND POLITIC
Ce n’est pas de la vraie musique, c’est trop violent, et puis où sont les instruments ? De la musique électronique, ça se répète… Et puis qu’elle violence !
Notre bon vieux rap en a essuyé des critiques de toutes parts depuis ses premiers balbutiements. De protestations sociales, de pamphlet à l’encontre des maux de la société et des représentants des hautes sphères, il s’est peu à peu amené à un style de musique véritable et structuré. Le vétéran engagé a-t-il prit sa retraite de nos jours ? Pas sûr… Simplement, fondu dans les masses et le quotidien, il dénote et choque moins. Comme si l’on s’y était habitué. Pour autant, l’oreille attentive saura s’éveiller aux clash politiques et sociaux révélés par certains textes. Et quand je parle d’habitude, certains sont encore à contre courant.
Le 1er mai 2016, alors que Paris est marqué par le phénomène de la Nuit Debout, Nekfeu improvise un concert surprise place de la République. En pleine ascension depuis la sortie de son (excellent) premier album solo sobrement intitulé Feu, le fenek jouit d’une forte popularité. Aussi, cette manifestation en plein air est pour lui l’occasion de condamner le parti politique du Front National: «On nique ces fils de putes», reprit et soutenu par toute une foule.
Preuve que, politiquement, le rap en 2016 peut s’avérer toujours aussi engagé. D’ailleurs, pour peu que l’on s’y intéresse, la politique reste toujours l’un des fer de lance de l’expression verbale populaire. SCH, à travers son titre A7 (issu de la mixtape éponyme) n’hésite pas à scander «Se lever pour 1200 c’est insultant». Là encore, une expression reprise par des étudiants lors de leurs manifestations.
Alors que penser de tout cela ? Le rap n’est-il plus seulement l’expression d’une minorité, mais plutôt celle de la majorité du peuple ? L’opinion publique est-elle enfin en phase avec les rappeurs ?
Certains textes font pourtant encore débat, et les artistes de musique urbaine comme les médias se plaisent à la qualifier ne sont pas toujours épargnés.
Ainsi, si l’on se reporte quelques années en arrière, on peut prendre pour exemple Orelsan, victime de ses propres paroles. A travers sa chanson “Sale Pute” , il met en scène un jeune homme face à l’adultère. Ivre, aveuglé par la colère, la haine et la tristesse, il commence à se laisser aller dans les pires horreur qu’il se promet de faire subir à cette fille. Les paroles sont osées, violentes et sans détour:
«J’vais t’mettre en cloque et t’avorter à l’opinel».
Hélas pour le natif de Caen, son texte choquera bon nombre de féministes et leurs associations, l’accusant d’encourager à maltraiter le sexe faible. L’existence de la chanson Saint-Valentin avec son champ lexical volontairement cru n’est également pas là pour soutenir le rappeur. L’affaire prendra de l’ampleur, tant et si bien qu’Orelsan devra se présenter au tribunal. Plaidant la fiction d’une œuvre artistique, il sera relaxé par la Cour d’appel de Versailles. Nonobstant l’acceptation de son innocence d’un point de vue purement juridique, l’artiste se verra quand même refuser certains festivals, plusieurs de ses dates de concerts étant annulées suite à la mauvaise publicité naturellement entraînée par toute cette affaire. L’idée de violence et de non respect moral du rap est encore présente.
Plus récemment, on peut également se référer au jeune VALD et son morceau Autiste, issu de son projet NQNT (Ni Queue Ni Tête pour les intimes). Plus que tout autre, VALD se plaît à manier les degrés d’interprétation, si bien que l’on est parfois jamais vraiment sûr de ce que l’on doit en conclure. Et pourtant, si là encore le texte d’ “Autiste” apparaît plus profond qu’aux premiers abords, un simple refrain suffit à déclencher les foudres. Sa répétition «J’baise le monde comme un autiste» lui vaudra carrément plusieurs lettres de menaces de mort rédigées par des parents d’enfants autistes, qui voient en cette chanson un dénigrement et pire une moquerie du plus mauvais goût des personnes atteintes de ce trouble. Par ailleurs, dans une moindre mesure, le jeune homme avait précédemment déjà pu observer en quoi le rap n’est pas forcément encore pleinement accepté de nos jours. En effet, le clip du morceau “Shoote Un Ministre” mettait un scène un homme d’âge mûr, sensé représenter le ministre en question, dans toutes sortes de situations cocasses. Visiblement, l’entourage professionnel du figurant n’a guère goûté à la plaisanterie, le remerciant purement et simplement après parution du clip. Perdre son emploi suite à un tournage de clip, insensé dites-vous ? Oui mais un clip de rap… Là est toute la différence.
Et aucun ne semble vraiment à l’abri, à l’image du joueur de football Karim Benzema, dont l’apparition au sein du clip du morceau Walabok de Booba a offusqué la presse.
On peut parler de liberté d’expression, de liberté artistique, de mise en scène et de fiction, il n’empêche que; s’il est d’avantage toléré aujourd’hui qu’il ne l’était naguère, le rap se voit encore bridé par certaines frontières qu’on ne peut lui laisser franchir,. Quand bien même ses intentions ne sont pas mauvaises, le rap est un peu comme ce cancre qui tente tant bien que mal de redorer son blason, sans se débarrasser de la mauvaise image d’autrefois qui lui colle à la peau.
RIMES AND PUBLIC
Alors que faire ? Le rap doit-il abandonner son aspect polémique, son franc parler pour s’affranchir de l’image de sale garnement dans l’école des bonnes mœurs de la musique ?
Ce serait là renier totalement ses origines et le sens même de son existence ! Pourtant, si les exemples cités plus en amont de cet article font foi des difficultés de certains à le tolérer, force est de reconnaître que l’on ne connaît plus les crises d’autrefois. Souvenez-vous donc de la «menace N.W.A» à quel point ce groupe horrifiait les politiques et les forces de l’ordre (le fameux Fuck The Police) ? Il n’est plus question de tout cela aujourd’hui. Hormis quelques écarts de conduite qui lui sont encore sermonnés, le rap est pleinement accepté sans subir la censure d’avant. Aussi, cette période de violence verbale exacerbée mise à terme, qu’en est-il du devenir d’un style musical qui va forcément muter ?
D’ancien renégat, le rap arrive à un statut d’avantage mis en lumière auprès du public. Aussi, il s’imprègne d’un aspect hautement critiqué par les puristes: le commercial. Le rap plaît, le rap se vend, les petites salles de battle se mouvent en concert pour des prestations scéniques. La musicalité est approfondie, le chant se précise même parfois, le texte s’élargit à un plus grand public et délaisse son aspect dénonciateur. Mais à trop vouloir parler à tout le monde, ce nouveau rap ne parle-t-il plus à personne ?
Black M, Maître Gims, JUL… Si l’on se réfère aux meilleures ventes en France ces derniers temps, on découvre un rap adouci, beaucoup plus calme et parfois même festif ! Oui, en 2016, il n’est guère incongru de passer du rap en soirée ! On ne parle plus d’opprobre mais de clubs, d’argent, de weed… Des sujets qui touchent d’avantage dans le quotidien et les aspirations de la jeunesse actuelle ? Sûrement. Le fait est que le rap d’aujourd’hui ne se limite plus à une certaine sélection sociale, et que de Bobigny à Paris XVI, l’on peut écouter ce genre de musique, même si le style diffère. Aussi, quoi de plus normal pour un artiste que de chercher à se diversifier ? Mais jusqu’à quel point un artiste conserve-t-il son image ?
A l’annonce d’un projet se couple forcément la publication de quelques extraits de l’album, afin d’allécher l’auditeur. Des extraits sensés aider à percevoir le contenu global du projet, et qui parfois peuvent s’avérer totalement contradictoires. Ainsi Joke, à la sortie de son premier album “Ateyaba” , semblait s’orienter vers un rap aux consonances egotrip, voir même polémiques aux vu de certaines phases. Pourtant, un mois plus tard, il prend son public de cours avec Venus, morceau calme, aux sonorités sensuelles. Morceau qui sera d’ailleurs d’avantage diffusé par des médias extérieurs (c’est-à-dire non spécialisés dans le rap).
Alors, artiste contradictoire dans ses choix artistiques ? Exemple même de l’abandon à l’appel des sirènes commerciales ? Rien de tout cela, seulement un rapper au courant de l’évolution et de la mouvance de son style de musique, et qui a l’intelligence de se familiariser avec différents style. D’ailleurs, au regard du texte de Venus, on ne peut que retrouver le Joke que l’on connaît depuis ses débuts, qui ne se laisse pas vraiment aller à l’écoute populaire.
D’autre pourtant n’hésite pas à changer radicalement de direction, à l’image de Maître Gims. Gros kickeur au sein de la Sexion d’Assaut, dont la capacité de chant permettait de modeler bon nombre de refrain, il a su continuer en solo après le démantèlement du groupe. Bien lui en a prit au regard de l’énorme notoriété qu’il a connu depuis. Cependant, on a là l’exemple même d’un rapper ayant totalement changé de direction artistique, de style même, pour une forme de pop qui parle à beaucoup plus. Certes, le retour public est bien plus conséquent, et on avait déjà pu voir que des morceaux de la Sexion tels que “Ma Direction” ou encore “Avant Qu’Elle Parte” ont un impact bien plus important. Aussi, n’est-ce donc pas tout simplement un choix logique et judicieux pour un artiste ?
Dans le cas de Maître Gims qui nous intéresse présentement, le chanteur a tenu à conserver son public d’antan avec un double album: l’un aux chansons résolument pop, l’autre lorgnant vers le rap d’avant. Les médias goûtant d’avantage le nappage du premier CD, c’est donc sans surprise que l’on se retrouve avec des sons pop d’avantage mis en avant, faisant au final bien les comptes de l’artiste.
Dommageable hélas pour une partie des fans qui ne reconnaissent plus là le rapper qu’ils avaient apprécié auparavant, bien que d’autres nouveaux venus soient conquis par de telles chansons.
Alors faut-il changer totalement, abandonner toutes ses bases pour de nouvelles si l’on souhaite connaître la popularité ? Tous les artistes cèdent-ils à cette mouvance ? Enfin, peut-on élargir son public tout en restant le même, en conservant l’âme street comme diraient certains ?
RYTHM AND POPULARITY
On l’a vu, aucun doute sur le fait que des sons rap d’avantage pop ont un echo fort auprès du grand public. Aussi, il serait dommageable pour un artiste de passer à côté. Et certains l’ont bien compris, tel que Booba. Egérie par excellence d’un rap brut et sombre, sans concessions, il a tout de même su créer une énorme surprise avec “Validée” , son festif par excellence. Remix d’un morceau malien à l’origine, ce feat avec Benash est probablement passé dans tous les clubs de France. Du Booba en boîte de nuit, qui l’eut cru ? Et pourtant l’album “Nero Nemesis” dont est tiré ce morceau n’a rien perdu de ce que l’artiste sait faire. Ainsi on côtoie des chansons telles que “Walabok” , Charbon ou encore “92i Veyron” , toutes dans un style bien différent et en adéquation avec ce que le Duc a toujours proposé. Tels que l’on a pu le voir avec Joke précédemment, on a affaire ici à des artistes capable de se positionner sur des styles différents.
Et on en aurait des exemples de genre à donner: Gradur qui s’assagit avec “Rosa” , Nekfeu qui va jusqu’à se censurer lui-même sur “On Verra” … C’est d’ailleurs là qu’on peut se demander pourquoi changer à ce point ? N’ayons pas peur du rap, de sa forme ! Oui il peut être vulgaire mais sait aussi être poétique, et parfois même les deux ! Et il est dommage de se donner volontairement une image plus lisse qui s’insère d’avantage dans ce qui est mieux apprécié.
Reste néanmoins qu’un son, aussi commercial soit-il, peut lancer toute une carrière. S’il a su se faire connaître dans l’entourage de Lacrim, c’est pourtant avec “Champs-Elysées” et son fameux gimmick «Pas loué» que SCH a pu se révéler. Ensuite sa mixtape a connu le succès, et de son propre aveu, le retour public aurait été probablement moindre sans une telle chanson. En abuser fait perdre à l’artiste son identité, mais ce genre de chanson est aussi capital pour la reconnaissance publique.
Enfin, on ne peut parler de rap et de l’aspect commercial en 2016 sans évoquer JUL, qui à chaque fois se place en tête des ventes. La plupart, si ce n’est la totalité des puristes ne voit pas le rap dans ces chansons. Et il faut dire qu’avec ses prods très pop, ses textes plus pauvres que la moyenne et l’absence de cette image brut qui sied au rap, on a ici effectivement un tout autre genre.
Mais si l’évolution fonctionne pour Maître Gims, les chiffres de ventes prouvent que la sauce prend aussi avec JUL. Alors qu’en est-il ? Sont-ce les artistes ou le public qui a changé ? Il est vrai que la plupart du temps, des textes sérieux et réfléchis ont moins d’impact. De même, les aspects de l’illégalité abordés ne trouvent pas toujours les oreilles adéquates. Aussi des thèmes plus légers ont mieux leurs place auprès d’un public d’avantage respectif.
Reste tout de même que texte plus léger ne signifie pas pour autant perte total de sens et de travail comme certains semblent pourtant le croire…
Il serait encore possible de cerner d’avantage l’orientation du rap actuel, les exemples étant infinis. Mais que conclure du rap aujourd’hui ?
Eh bien qu’il ne s’est pas forcément transformé, qu’il peut toujours se montrer aussi virulent qu’auparavant, en dépit d’une censure qui peut parfois venir agacer l’artiste. Mais d’ailleurs, Eminem lui-même ne le dit-il donc pas dans “Rap God” ?
«You get too big and here they come tryin’ to
Censor you, like that one line
I said on “I’m Back” from the Mathers LP 1 when I tried to say
“I’ll take seven kids from Columbine
Put ’em all in a line, add an AK-47, a revolver and a 9
See if I get away with it now that I ain’t as big as I was»
La censure dépend aussi de l’artiste et de sa reconnaissance, et que celui qui se faisait auparavant taper sur les doigts peut bien finalement laisser libre court à ses dires une fois son image installée dans le paysage musical.
Aussi, force est de constater que le commercial est le chemin le plus direct vers le grand public, et que tout rapper voulant percer en passera sûrement par là. Mais si un son parmi une dizaine ne pose pas vraiment de problème quant à son orientation vers le passage en radio, quand est-il d’artistes s’étant perdu dedans à l’image de La Fouine sur son dernier album ou encore Sultan ?
Car si l’on veut que le rap soit appréhendé comme il se doit et reconnu à sa juste valeur, il faut savoir éduquer l’audience ciblée, et ce ne sera pas par le biais de chansons volontairement amputées de tout ce qui pourrait ne pas être accepté. Le rap s’exprime en premier lieu pour ceux qui s’y reconnaîtront, pas pour les millions de vues.