Demi Portion a fait La bonne école et nous donne une leçon de rap français [Chronique]

Le super-héros Demi Portion a fait tomber la cape pour retourner sur les bancs de l’école. Mais pas n’importe laquelle : La bonne école, celle d’un rap sincère et authentique.

Voilà plus de vingt ans que Demi Portion officie en tant que maître de cérémonie dans le rap français. Une éternité diront certains, pourtant, depuis tout ce temps, le rappeur n’a jamais changé. Originaire de Sète, Rachid Daif de son vrai nom a toujours défendu corps et âme l’art et la culture hip-hop, que ce soit en solo ou avec son groupe les Grandes Gueules. De son premier projet sorti en 2005 à aujourd’hui, Demi P a su rester fidèle à ses valeurs d’authenticité et d’indépendance.

Malgré tout, son cinquième album solo, Super-Héros sorti en 2018 a connu des retours mitigés. S’il n’a évidemment pas dénaturé son art, on pouvait lui reprocher à d’avoir façonné un opus un poil trop lisse par rapport au reste de sa discographie. Comme quoi, même les plus grands artistes ont parfois besoin d’une piqûre de rappel et d’un cours de rattrapage.

https://www.youtube.com/watch?v=_dYwNdVZ5-4

La bonne école, celle du hip-hop

C’est dans cette logique que Demi P a choisi de retourner sur les bancs de l’école qui l’a formée, celle du Hip-Hop. Ses années d’expérience et sa capacité à se remettre en question lui ont donc inspiré ce nouvel album, La bonne école. Un opus à l’ancienne et basé sur un seul dicton, celui de son mentor Fabe et de la Scred Connexion : “Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction“.

Gonflé à bloc comme à chaque sortie Demi P entame donc sa rentrée d’humeur électrique et d’une forme olympique sur un sample de Mireille Mathieu. Le flow tantôt nerveux, tantôt chantant du rappeur héraultait est intact pour notre plus grand plaisir. Et pour rappeler qu’il vient de Sète, le MC rend un énième hommage à Georges Brassens à plusieurs reprises dans son opus. Bien Rachid, on te reçoit “7 sur Sète” ! Mais ceci n’était que l’apéritif. La cloche a sonné et la récréation est terminée. Il est temps d’entrer dans La Bonne Ecole.

Nous voilà donc accueillis par Demi Portion, le directeur et professeur principal de cette école du hip-hop, prêt à nous dispenser ses meilleurs cours. Par la sagesse et la puissance de ses mots, il rappelle à ceux qui l’auraient oublié, que le rap n’est pas une question d’âge, ni de génération.

Dans cette discipline, tout le monde peut s’y retrouver, à condition bien sûr d’en respecter les valeurs. Pour faire un son de malade comme aime le dire le MC, il faut la passion, la bonne vibe, le flow et bien entendu, de bonnes rimes. Tout cela paraît simple dit comme ça, mais tous les rappeurs n’en sont pas pourvus.

Evidemment, Demi Portion a tout ça ancré en lui, et ce depuis 1995. C’est cet arsenal de valeurs, de convictions et de compétences qui lui a permis de se faire une place au sommet du rap indé. Il lui fallait au moins ça pour lutter face à l’hégémonie d’une l’industrie qui ne jure que par le nombre de vues et de streams. C’est pourquoi beaucoup feraient bien de l’écouter attentivement. Ecouter et surtout apprendre.

Leçon No 1: “le sens de la punchline, ça se cultive”.

MC, sachez que vous ne marquerez pas les esprits si vous n’avez pas dans votre manche, quelques punchlines bien senties. Dans cette matière pointilleuse, mais primordiale, Demi Portion excelle. Plus que jamais, il est capable de pousser la chansonnette sur des refrains mélodieux, autant que de rapper des phases énervée sur des couplets millimétrés.

Ne vous fiez pas à sa taille et son poids plume, il frappe avec la puissance d’un boxeur et la précision d’un sniper. Ses mots sont des balles et chacun d’eux aura un profond impact sur l’auditeur. Le paroxysme de cet exercice se vérifie via la pertinence de sa “Poignée de punchlines 3”. Le célèbre exercice d’écriture imposée de Give Me 5 Prod n’a désormais plus de secrets pour lui.

Qu’il s’agisse de clamer haut et fort son amour du hip-hop, de raconter des histoires du quotidien, ou de dresser le constat amer d’une société en déclin, Demi P saura toujours trouver les mots justes pour nous toucher au cœur. Une prose sublimée par son flow chirurgical et son demi-accent chantant.

Leçon numéro 2 : “Un featuring, c’est d’abord bien aimer l’homme”

Aussi, retenez bien ceci : une collaboration entre deux artistes ne pourra jamais être de qualité si elle est uniquement motivée par des ambitions marketing”. “Un featuring, c’est d’abord bien aimer l’homme“, rappelle Demi dans “La Lettre” qu’il a écrite à Furax Barbarossa. Comprenez que pour lui, une bonne connexion naît forcément d’une rencontre humaine enrichissante.

Quand le courant passe IRL, forcément que les artistes donnent le meilleur d’eux-mêmes en partageant le micro. Chacun des invités, aussi différent et prestigieux soit-il, a posé sa pierre sur l’album, sans en altérer la substance. Furax est un exemple, mais Scylla, Féfé, Davodka, Rocé, Bigflo et Oli ont également brillamment réussi l’exercice.

Parfois même, ces rencontres donnent carrément lieu à des morceaux qui, sans elles, n’aurait jamais pu voir le jour. C’est le cas par exemple de “L’addition”, la première rencontre à Sète entre Demi Portion et Grand Corps Malade racontée en musique. Simple, émouvant et efficace. Qui a dit qu’il fallait forcément s’inventer une vie, ou raconter des histoires grandiloquentes pour faire un bon morceau de rap ?

Le texte c’est bien, mais que serait un album de rap réussi sans les prod’ qui vont avec ? Cette fois encore, le rappeur a décidé de jouer en famille. DJ Rolxx et Sheemiand Tricks sont toujours là. Avec Demi P, on continue comme d’hab, avec la même équipe, et ça tabasse. Et même si Demi aime jouer avec ses producteurs “maison”, à chaque album, il se plaît à en appeler d’autres, pour explorer de nouveaux horizons musicaux. Ainsi, Itam, Rodney Rio et Camel Attigui viennent, entre autres, s’ajouter à la liste.

Si la teinte de l’opus est globalement “à l’ancienne”, le rappeur s’est aussi permis quelques élans d’audace en faisant appel à d’autres producteurs moins conventionnels. Par exemple, Nabil Ifourah a signé la prod latino de “Ce qu’il nous reste” et Nidsound s’est occupé des sonorités dancehall du “Tour du Monde” avec Féfé. N’oublions pas non plus le virtuose du piano Sofiane Pamart, qui s’est chargé de la composition du cinquième volet de “Mon Dico”. Un point d’orgue pour ce qui restera sans doute la série de morceaux la plus emblématique de Demi Portion.

Leçon numéro 3 : “rester simple et fidèle à soi-même”

Vous vous en doutez, si Rachid est parvenu à rassembler tout ce beau monde autour de lui, c’est avant tout parce qu’il a su rester simple, humble, et bienveillant de manière inconditionnelle. Autant ceux de son public que les artistes qu’il côtoie, s’accorderont à dire que l’artiste a toujours le cœur sur la main. Sauf quand celle-ci tient fermement le micro.

Au-delà même de la musique, la consécration de cette démarche d’homme de cœur est le Demi Festival. Une véritable messe dédiée au rap français qui officie depuis quatre ans maintenant, et à laquelle tout le monde rêve de participer. Non seulement parce que le cadre du Théâtre de la Mer de Sète est magnifique, mais aussi parce que ce rassemblement permet aux véritables amoureux de hip-hop de se retrouver en famille, dans sa ville, pour vibrer autour d’une seule devise “Peace, Love, Unity, & Having Fun”.

https://www.youtube.com/watch?v=PIu_Q6RxeMQ&t=457s

Là non plus, il n’est pas question d’inviter les plus grosses têtes d’affiche, mais plutôt de donner de la force aux artistes authentiques. Autant les rookies que les grands noms du rap français. Et tout ça, rappelons-le, c’est grâce à Demi Portion.

Demi Portion, diplômé de la bonne école

Aujourd’hui n’importe qui peut rapper, mais tout le monde ne peut pas se targuer d’avoir la passion, le savoir-faire, l’authenticité et l’humilité d’un Demi Portion. Grâce à ses talents au micro et à ses formidables qualités humaines, l’artisan du bic est parvenu pour la énième fois, à façonner un album à son image, local, et qui s’adresse à tous les amoureux de hip-hop. Cela en totale indépendance et sans dénaturer d’une quelconque manière son art. Que cette leçon soit inspirante pour tous les MC.

Si Rachid est parvenu à une telle prouesse, c’est qu’il a compris qu’on ne pouvait transmettre son savoir, sans apprendre soi-même des autres. Cet enseignement, il l’a acquis de l’héritage de ses pairs, mais aussi grâce à son expérience personnelle de plus de vingt ans dans le hip-hop. Voilà pourquoi son nouvel album La bonne école, restera sans aucun doute son plus beau diplôme.

Jérémie Leger
Jérémie Leger

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