Quand Tandem vous présentait son 93 Hardcore !

On en avait un peu marre (temporairement on vous rassure) des hommages à la chaîne à l’année 1998, un excellent cru très diversifié, mais il n’y a pas eu que ça dans notre rap. Des artistes incroyables ont marqué notre musique avant et après cette année charnière. C’est en regardant les albums sortis en février qu’on est tombés sur une véritable petite pépite : un album de Tandem, “C’est toujours pour ceux qui savent”, sorti en février 2005. Il y a 13 ans déjà. Pourtant, rien n’a vieilli lorsqu’on écoute le dernier véritable album du duo venant d’Aubervilliers, dans le 93. Ni les textes, ni l’atmosphère, ni les instrus. Les flows, peut-être, et encore.

Tandem est le symbole d’une sorte de basculement dans le rap français, et si leur oeuvre est devenue classique, c’est parce qu’ils sont des “produits de leur environnement”, comme Mac Tyer continuera de le rapper quelques années après. Mac Tyer et Mac Kregor incarnent, un peu comme Salif, ce qu’on peut appeler le rap de rue, hardcore, très éloigné des œuvres des anciens comme MC Solaar, IAM, NTM. Dans l’idée, ils sont beaucoup plus proches de l’univers sombre de Time Bomb, mais en plus violent, en plus racailleux.

Un posture qui aura fait date dans le rap, au point que, progressivement, tous les rappeurs se mettent à essayer d’endosser ce costume de rappeur de rue hardcore. Mais sans l’authenticité ni la lucidité du Tandem, qui savait parfaitement allier ce rap de rue avec une capacité à dresser des constats alarmants de manière très visuelle, très sensitive. Ne pas jouer les durs juste pour jouer les durs, car c’est la rue qui nous a fait comme ça et le but est de nous en sortir. Mais ne pas minimiser non plus l’ampleur du bordel à l’oeuvre en Seine-Saint-Denis depuis des années. Et pour vous montrer concrètement de quoi on parle, on a choisi de se pencher sur le titre archi-classique “93 Hardcore”, un titre qui a eu un impact record pour des paroles aussi explicites, également présent sur une mixtape sortie en 2004.

Peur sur la France

Dès les premières notes de l’instru concoctée par Jo le Balafré, un ami fidèle du Tandem qui les a suivis depuis leurs débuts, on sent que le morceau va être spécial. Le groupe veut instaurer une atmosphère inquiétante, voire même effrayante, et c’est confirmé par les petits chuchotements au début du morceau, le “93 Hardcore” qui monte petit à petit, puis enfin les percus qui rentrent dans l’instrumentale de manière très brutale. Et que dire du refrain : “C’est la fin des haricots, y a plus de lovés” ou encore “ma banlieue nord veut des gros sous pourtant nos mains sont dans la boue”, pour nous montre l’urgence de la situation de leur quartier.

Globalement, Mac Tyer et Mac Krégor vont prendre pour mission de faire pur à la France dans ce morceau. Regardez donc un peu ce qui se passe de l’autre côté du périphérique, mesdames et messieurs qui avaient détourné les yeux pendant des années. Maintenant, c’est le bordel, par votre faute, il n’y a plus de règles : “Lucifer t’es trop bonne, viens qu’on s’envoie en l’air, Infidèle, madame misère est trop frêle et beaucoup trop laide”. Tout est permis pour sortir de la misère, même danser avec le diable (plus que danser ici , visiblement). Le Général ne s’arrête pas là : “La vie que j’ai tu la connais par cœur vu qu’c’est partout la même : j’baiserai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime”. Une punchline d’une violence rare qui n’exprime rien d’autre que la détermination de Mac Tyer à pouvoir vivre la vie qu’il veut, en France, même en étant mis à l’écart parce qu’étant un noir venant des cités.

Mac Kregor commence sur la même veine que son collègue, avec toujours cette volonté de faire peur, de décrire très précisément la violence de la manière la plus effrayante possible. “Dans mon 93, rien qu’ça marche à la testostérone, allez viens goûtes au sérum, si tu te débine son t’dérobe, si tu rechignes protège ton sternum”, ou encore “J’viens de là où si t’es faible c’est à coups de bar de fer qu’on traite”, qui véhiculent l’image d’une horde de gars très énervés, très déterminés à s’en mettre plein les poches, et par tous les moyens, violence incluse. Une atmosphère de semi-guerre civile qui n’est pas placée là par hasard, car elle est le décor de ce que les deux rappeurs veulent dénoncer : un “jeu social” truqué, où les gagnants et les perdants sont toujours les mêmes. Ce qui entraîne des sentiments d’injustice, et donc de l’insoumission.

Pour ceux qui savent

Ce morceau a été écrit par Tandem “pour ceux qui savent”, comme ils aiment à le répéter. Ceux qui connaissent la réalité des quartiers, qui l’ont vécue et ressentie. Ceux qui savent que l’appât du gain est décuplé chez les hommes par ce sentiment d’être mis à l’écart. La violence des textes, c’est une violence omniprésente dans leur quotidien, et donc forcément, dans leur musique. Une musique que ne peuvent pas comprendre les “non-initiés” au rap ou les politiciens, très éloignés de ces réalités. Le morceau est une compilation d’images fortes retraçant une vie passée dans l’urgence, sur un fil et même carrément de l’autre côté de la barrière, et faisant référence au jeu social truqué, à la nécessité de faire des sous rapidement, au fait que la morale paraît un concept très lointain lorsqu’on a une famille à nourrir sans possibilité de trouver un taff. “93 Hardcore”, c’est le morceau d’un système bloqué en attente de l’explosion. Explosion qui arrivera un peu plus tard, fin 2005.

Le morceau est lui enregistré en 2004, mais Tandem a perçu la tension qui augmentait depuis des années. Il décrit son quartier comme un ghetto sombre où même les potes se trahissent : “Carcéral vécu, chez nous y a pas d’sécu, rien qu’on nous persécute, mais tu vas perdre face à Belzébuth. Si t’as fait de belles études, c’est mieux qu’une grosse peine, sais-tu que faire du bitume c’est voir des frères qui s’entubent ou qui s’entre-tuent”, faisant référence à la vie en prison. Mieux, il énonce quelques vérités dérangeantes, et en profite pour parler des violences policières qui maintiennent les quartiers sous une pression permanente : “Enculé, moi j’ai grillé ton plan macabre, plus de jeunes à la morgue, ça fait moins de jeunes à la barre”. Une petite pique envoyée en direction du Ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, rapidement appelé à d’autres fonctions…

Une misère qui suinte par tous les trous pour un jeu perdu d’avance par les gens des banlieues, avec la justice et la police en arbitres malveillants : “Trop d’pères en babouche regardent leurs fils tomber à Boboche”, car les anciens, qui ont fait l’effort d’essayer de se faire une place en France honnêtement, ne comprennent plus les choix de délinquance faits par la nouvelle génération. Mac Kregor y va lui aussi de ses gros tacles envers la société française : “On est tous fiers en bas de nos tours, mais c’bâtard veut nous foutre au trou, Maintenant comment son p’tit va pé-cho son bout? “. Encore une punchline destinée à Sarkozy, le fameux “bâtard” qui veut les enfermer, mais dont les enfants auront plus de mal à se procurer du shit quand ils en voudront. Belle posture des bourgeois qui légifèrent pour enfermer les dealers, mais dont ce sont les enfants qui viennent acheter la marchandise de ces mêmes dealers. Car la drogue, ça coûte cher, et ça n’est pas à la portée de tous.

Pourtant, Kregor et Tyer voient dans leur quartier un formidable chaudron plein de talents, même si ceux-ci sont utilisée à mauvais escient, “Tout serait différent si la Sorbonne serait domiciliée à Auber”, ou comment exemplifier le manque de grandes écoles dans les banlieues par un joli pied-de-nez à la langue française. Et pour Tandem, il reste quelques espoirs, même si toutes ces souffrances feront à jamais partie du “Patrimoine du ghetto” : “Heureusement qu’c’est pas général y  a aussi des gens qui taffent, des p’tits frères qui mettent des baffes aux BACs et des noich’ qui taffent au black. 93 Hardcore, levez les bras si vous êtes forts, c’est pour ceux qu’écoutent aux portes et ceux qui mangent pas d’porc”, une jolie référence à la Mafia K’1 Fry pour finir ce classique !

Rémi
Rémi

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