Elle est une des pionnières des collaborations entre chanteuses R&B et rappeurs. Elle a fait partie de deux labels iconiques du hip-hop américain, Ruthless et Death Row Records. Elle a eu des relations amoureuses avec Dr.Dre et Suge Knight, ayant un enfant avec chacun. Voici l’histoire, pas si belle, de Michel’le.
Pour les moins initiés à l’histoire du hip-hop californien, Michel’le est une inconnue. Au mieux, une chanteuse qui a prêté sa voix sur quelques tubes – “Let’s play House” de Tha Dogg Pound et “Run Tha Streetz” de Tupac en tête. Pourtant, la figure de Michel’le est centrale dans l’ascension d’un poids majeur de l’industrie musicale actuelle, Dr. Dre. Mais aussi dans la scission que celui-ci a eu avec Suge Knight en 1996, un tournant de sa carrière.
Michel’le Denise Toussaint nait en 1970 à Los Angeles. Courant 1987, la jeune chanteuse reçoit un appel. Au bout du fil, le World Class Wreckin’ Cru, premier groupe de Dr. Dre et DJ Yella, qui recherche en dernière minute une vocaliste pour enregistrer son single “Turn Off The Lights”.
La caution douce de Ruthless
L’adolescente ne quittera jamais ce cercle. A ce moment-là, La cité des anges est en ébullition, sur le plan social et musical. Eazy-E et Jerry Heller fondent le label Ruthless Records et le groupe N.W.A prend forme. Michel’le, qui fréquente rapidement Dr. Dre de manière plus intime, signe son premier contrat sur Ruthless. Ses spécificités : une voix perchée et aiguë, qui pouvait d’ailleurs en irriter certain.
En collaboration étroite avec son compagnon d’alors, elle écrit en 1989 son premier album, sobrement intitulé “Michel’le”. Dr. Dre est le producteur unique du projet et l’accompagne toujours lors des enregistrements en studio. “Notre alchimie marchait car il me laissait toujours être moi” se souvient Michel’le sur le média Hotnewhiphop. L’album est un succès, porté par le tube “No more lies” qui fait son entrée au Billboard 200, toutes catégories confondues.
Au sein d’un label où N.W.A est la figure tutellaire, Michel’le amène une douceur qui contrebalance l’énergie flamboyante et destructrice d’Ice Cube & Co. Une époque aussi marquante que courte pour la chanteuse qui, comme Dr. Dre, va quitter Ruthless Records pour Death Row. “J’ai eu la chance de pouvoir enregistrer avec eux et d’assister à leurs concerts. C’était juste une super collaboration.” salue-t-elle.
Death Row, un tournant
On connait l’histoire. Suge Knight, alors garde du corps de The D.O.C et ami de Dr. Dre veut créer son label. Pour ça, il doit libérer les contrats de certains artistes de Ruthless Records. Pas du genre à négocier à l’amiable, il se pointe dans leurs locaux avec quelques gros bras et des battes de baseball et convint le manager Jerry Heller de laisser Dr. Dre, mais aussi Michel’le signer ailleurs.
C’est durant cette période qu’elle va laisser une empreinte cruciale dans l’histoire du hip-hop. Et malheureusement pas grâce à son statut d’artiste. Plus ou moins dans le même temps que leur changement d’écurie, dans l’année 1991, Dr. Dre et Michel’le ont leur premier enfant, Marcel. Mais voilà, leur relation s’envenime. Michel’le accuse son mari de tromperies et surtout d’être violent envers elle (on y reviendra). Difficile de situer dans le temps le déroulé de l’histoire intime des protagonistes. Ce qu’on sait, c’est que Michel’le quitte Dr. Dre pour… Suge Knight. Quand les deux associés qui ont crée l’empire le plus florissant du rap américain se disputent une fille, ça sent plutôt mauvais pour une collaboration pérenne.
Ce qui a sûrement permis à Death Row de prospérer pendant quelques années, c’est que le vrai patron du label était Suge Knight, qui dirigeait les affaires courantes et cassait quelques gueules quand il fallait. Michel’le est alors plus en retrait sur le plan artistique. Elle apparait principalement sur des featurings : “Let’s play House” de Tha Dogg Pound, “Run Tha Streetz” et “Happy Home” de 2pac. Mais son statut d’ex-femme de Dre et actuelle de Suge – qui selon ses dires contrôle sa vie -, envenime les choses. Selon Daz Dillinger, OG californien et ancien de la maison Death Row : “c’est pourquoi Dr.Dre et Suge Knight étaient en beef”. Tupac aurait même essayé de coucher avec elle et l’aurait embrassé dans le cou, a minima, lorsqu’ils étaient tous deux en studio. Provoquant une embrouille entre Suge et lui à New Orleans.
Bref, c’était inévitable, Suge Knight étant loin d’être réglo niveau argent et contrat non plus, Dr. Dre quitte Death Row Records en 1996 pour fonder Aftermath. Michel’le estime que son petit ami a bien caché son jeu : “Je ne savais pas que Suge n’aimait pas Dre jusqu’à octobre 1996. Il ne m’avais jamais parlé en mal de lui.” révèle-t-elle. Dr. Dre lui propose même de le suivre sur son nouveau label, proposition qu’elle refuse car elle estime que Death Row l’a bien traité. Dès lors, elle ne peut plus parler ni voir Dr. Dre qui, on le rappelle, est le père de son premier enfant.
Abysses et quête de vérité
La déchéance de Death Row et de Suge Knight accentue la plongée de Michel’le vers les abysses. A l’époque, elle est dépressive, se drogue et se fait battre par Suge Knight. Celui-ci lui paie une cure de désintoxication. En 1998, elle sort enfin son deuxième album “Hung Jury”, quasi une décennie après le premier jet. Un échec cuisant qui creuse davantage le trou duquel elle ne semble plus pouvoir sortir. En 1999, elle se marie à Suge Knight alors qu’il croupit en prison. La pauvre ne découvre que bien après qu’il s’agit principalement d’une manœuvre de l’ancien boss du hip-hop américain pour continuer à gérer ses affaires derrière les barreaux. Elle a même un enfant avec lui en 2002.
Petit saut dans le temps. Après une longue page blanche dans sa biographie, Michel’le refait surface aux alentours de 2015. Plutôt en forme, elle multiplie les plateaux télés et donne des interviews pour livrer sa vérité. Révélant qu’elle a tenté de se suicider. Se questionnant sur sa non-présence dans le film produit par Dr. Dre “Straight Outta Compton”, alors qu’elle était sa petite-ami, était présente dès le début de Ruthless et tout au long de l’aventure Death Row. “J’appelle ce film Disneyland parce que c’est une illusion. C’est la façon dont il veut être inscrit dans la mémoire”.
En parallèle, un long-métrage dans lequel elle s’implique fortement voit le jour : “Surviving Compton: Dre, Suge & Michel’le” (2016). Pour raconter son histoire, loin des paillettes et de la success story connue du public. Le producteur exécutif Leslie Greif raconte : “Jerry Heller [Le manager de N.W.A] était un ami et il m’a dit qu’elle était une pièce centrale entre tous ces gars. Elle l’a vécu. Son histoire est très convaincante et plutôt dramatique, il s’agit d’une femme qui a grandi dans un environnement très difficile.”
“Derrière les hommes qui ont changé le hip-hop, il y a la femme qui connait la vérité.” promet le trailer. Michel’le se dévoile pleinement sur les violences subies auprès de ces deux anciens conjoints. “Les gens pensent toujours que la violence domestique est une chose avec laquelle on vit et qu’on surmonte. Mais non. Vous avez des cicatrices mentales. Je ne savais pas à quel point je n’arrivais pas à surpasser ça.” déplore-t-elle. Leslie Greif évoque les traumatismes qui ont resurgi chez Michel’le lors du tournage : “La scène où elle est battue dans le lit, elle s’est effondrée sur le plateau. Cela lui ramène à beaucoup de choses qu’elle avait presque enfoui.”
Avec Dr. Dre, elle ne parlait jamais des violences subies le lendemain des drames quotidiens : “Les abus, c’était la routine”. Une femme avec ses fragilités dans un monde d’hommes. Mais qui a survécu, pour relever la tête des années plus tard : “Pour moi, survivre à Compton, c’est survivre aux hommes, car Suge et Dre viennent de Compton. Donc, dans mon monde, dans mon esprit, j’ai survécu à leur mentalité.”