Critique de l’album « It’s Almost Dry » de Pusha T

La paternité n’a pas eu beaucoup d’effet sur le rap de celui qu’on surnomme le Dr Seuss de la cocaïne. Le rappeur originaire du Bronx, Pusha T, a répondu à certaines questions en ligne après la sortie de « Diet Coke ». De nombreuses personnes se demandaient si les discours sur les prises resteraient aussi vivants ou si le rappeur murirait au-delà des récits de Virginia Beach rongés par la cocaïne. « Cet album est destiné à nourrir l’esprit conscient, j’espère que vous ne serez pas déçus », a répondu Push avec sarcasme à Carl Chery, responsable de la musique urbaine chez Spotify. « Je grandis, Carl. »

Par ailleurs, ce n’était pas nécessairement une fausse évaluation du dernier album de Pusha T, It’s Almost Dry. En effet, Daytona a célébré l’héritage de Pusha T, un artiste dont le temps et les efforts dans le hip-hop s’étendent de l’apogée des Neptunes au règne de G.O.O.D Music dans les années 2010. Dans sa dernière création, Pusha se débarrasse de son streetwear de jeunesse pour adopter une approche plus raffinée et plus personnalisée dans son projet .

Avec Ye et Pharrell aux commandes de la production, Pusha T sort de sa zone de confort sans compromettre sa plume sur « It’s Almost Dry »

D’abord, It’s Almost Dry est un ensemble de 12 chansons réparties en deux parties : six chansons produites par Kanye West et six autres produites par Pharrell Williams. Ces deux producteurs ont joué un rôle primordial dans la formation de la musique de Pusha T au cours des deux dernières décennies. Ensuite, la production de Clipse consistait beaucoup plus en des compositions à caractère funk. Toutefois, leur deuxième album « Hell Hath No Fury » se rapproche encore plus des paysages sonores sombres qui ont contribué à l’évolution du son de Pusha T en tant qu’entité solo. Les années qui ont suivi la sortie du deuxième album des Clipse, Pharrell est devenu l’un des piliers de la bande originale de « Despicable Me ». Ainsi, les sons optimistes et familiaux se sont, à bien des égards, infiltrés dans le travail de Pusha et il fait partie de l’élite du hip-hop.

De plus, sur It’s Almost Dry, il se plonge dans les récits lucides de Pusha T, sur le commerce de la coke dans les ruelles les plus sombres de Virginia Beach. Par ailleurs, Pharrell choisit d’animer certains aspects des traits de caractère crapuleux de Push, comme les gloussements maniaques qui parsèment l’album.

Avec Kanye West et Pharrell à la barre de la production, Pusha T devient un outil par lequel s’exprime la vision plus large des deux icônes américaines. En effet, là où Ye semble vouloir ramener l’essence du rap sur mixtape, l’intention de Pharrell semble plus axée sur le personnage. Ce dernier a aidé Pusha T à développer sa personnalité sur la cire tout en contribuant aux cadences et à la gymnastique vocale.

Portrait de Pharell Williams

À titre d’exemple, on peut citer « Neck & Wrist » avec Jay-Z. La voix de Pusha T suinte et porte la légèreté de la livraison de Slick Rick. Ce n’est pas une chanson aussi puissante sur le plan lyrique que « Drug Dealer Anonymous », où les deux hommes s’échangent simplement des paroles avec un point à prouver. Grâce à la direction de Pharrell, Push et Hov ont pu créer un disque grandiose. Ce disque est bien plus à même d’être entendu sur les enceintes des clubs, même si l’ensemble du projet sonne comme s’il était destiné à sortir d’une Nissan Altima. Personne ne s’attendait à cela de la part des trois artistes de plus de 40 ans, mais la touche de Pharrell transcende le temps.

En ce qui concerne Kanye, il fait ressortir certaines des meilleures mesures de Push sur le projet. En fait, « Just So You Remember » est un rappel vicieux de la plume de Push, et l’une des meilleures démonstrations de ses aptitudes lyriques. Le flux lent et brûlant s’infiltre dans la production creuse, échantillonnant la « Six Day War » du Colonel Bagshot de 1971. De plus, il sert un objectif similaire à celui de « Infrared » sur Daytona, pas d’accroche, juste des barres.

Ainsi, il a pu prouver que Pusha T trouvait du réconfort en tant qu’antagoniste dans le hip-hop. « Des chaînes de tennis pour cacher toutes mes imperfections/ Le sourire du Joker, tu sais qui est le méchant », rappe-t-il. C’est dans ces moments, où il est placé dans les paysages sonores les plus sinistres, qu’il se prélasse dans l’ombre en tant qu’antihéros du hip-hop.

Une complémentarité parfaite

Il existe une certaine cohésion dans la production partagée de Ye et Pharrell. De plus, il n’y a pas meilleure démonstration de ce fait que sur « Rock N Roll ». Il s’agit de la dernière collaboration entre Kanye West et Kid Cudi, le sommet du projet où Pharrell et Ye se partagent les tâches de production.

Le penchant de Ye pour les échantillons de pitch-up, sous la forme de « 1+1 » de Beyonce, rencontre la clarté de la batterie de Pharrell. Les fredonnements grunges de Cudi suivent leur cours pour lier la chanson ensemble. Pendant ce temps, Pusha T s’imprègne du moment présent de son succès, réfléchissant à la réalité décrépite du commerce de la coke pour « vendre légalement de la dope sur toutes ces scènes ».

Par ailleurs, tout au long du projet, Pusha T revitalise sa marque de raps coke à travers des références subtiles. Il le fait en grande partie grâce aux influences des légendes qui ont ouvert la voie. Les cadences de Biggie Smalls crépitent dans des chansons comme « Rambleton », où il aborde l’interview d’Anthony « Geezy » Gonzalez sur VladTV. De plus, les références à l’époque Roc-A-Fella renvoient directement à la fameuse conversation que Charlamagne Tha God a eue avec Coi Leray lors de son interview au Breakfast Club.

En effet, alors que Coi tentait de minimiser les réalisations de Push dans le rap depuis 20 ans, Charlamagne a expliqué que Push venait d’une autre époque. Le rappeur est un produit des années 80 et des suites de l’épidémie de crack. Il ne cherche pas nécessairement à devenir une sensation sur TikTok, mais les moments où il croise la route des hitmakers de cette génération s’avèrent fructueux.

En outre, avec « Scrape It Off », Lil Uzi Vert et Don Toliver, Push reste plongé dans des mesures alimentées par la cocaïne avec des menaces humoristiques. En toute honnêteté, on dirait que la chanson aurait pu atterrir dans la prochaine bande originale de Fast & Furious. Toutefois, le niveau d’exécution est toujours infiniment meilleur que tout ce qui pourrait être jeté dans un film hollywoodien au budget de nombreux millions de dollars.

Alors que Pusha T s’attache au caractère impitoyable d’un personnage comme Tony Montana, il insiste sur le fait qu’il est bien plus un Alejandro Sosa. Ce fait correspond à sa longévité dans le hip-hop, qui lui a permis d’acquérir des maisons dignes du Architectural Digest et des niveaux de goût bourgeois.

« Pray For Me » fournit une mise à jour prometteuse sur les possibilités de la réunion attendue de Clipse. Malice revient aux jours de gloire. Il a ensuite livré un couplet de l’année où il déclare qu’il « appartient au Rushmore juste pour avoir ciselé une brique ». Le mariage de la voix soul de Labrinth et de la production gospel de Ye trouve un terrain d’entente parfait entre le sacré et le sacrilège. Ainsi, Malice et Pusha T ont pu raviver leur alchimie artistique. C’est une conclusion forte qui aligne le mode de fonctionnement de Pusha T et Malice après l’éveil spirituel de ce dernier.

En outre, lorsque le prochain album de Pusha T sortira, les plaintes concernant son intérêt pour la cocaïne pourraient être encore plus exaspérantes qu’elles ne l’étaient lors de la sortie de It’s Almost Dry. En effet, ces plaintes sont redondantes. Les tendances sont appelées à changer et ce qui est considéré comme cool à l’époque sera rétrospectivement considéré comme une mode.

On peut dire que Pusha T l’a compris, car il a commencé par lancer des tendances streetwear qu’il a aujourd’hui troquées contre des costumes Dior Kim Jones. La cocaïne est indémodable, tant chez les consommateurs que chez les revendeurs. Le dope game est comme tout autre business qui suit le modèle économique de l’offre et de la demande. Pusha T applique ce même principe à son art, alors pourquoi changer de formule ?

Ambro Ola
Ambro Ola
Titulaire d’un diplôme en linguistique anglaise, je suis web rédacteur, content-manager. Je nourris une passion toute particulière pour l’art_ la poésie et la musique en l’occurrence. Bercé dès le jeune âge par les vers renversants des légendes du hip-hop tels que Eminem et Youssoupha, j’ai nourri très vite et mûri en grandissant, une forte affection pour le rap, la parole vivante, qui sait se faire tendre, instructive ou agressive. Retrouvez moi sur Twitter ou Linkedin !

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