Dans tous les classiques du rap US, il y a des disques ou des morceaux qui ont marqué le public, d’autres qui ont marqué le rap et l’ont influencé à un tel point que rien ne sera plus jamais pareil après eux, et il y en a qui ont réussi l’exploit de faire les deux. Et quand on le fait plusieurs fois, sur plusieurs années, en solo ou en groupe, on devient une légende du Rap, comme Tupac, Dr. Dre, Notorious, ou encore les membres du Wu-Tang Clan, par exemple.
Mais même parmi le Wu-Tang, certains membres comme Inspectah Deck, Masta Killa ou encore Cappadonna, auront eu moins d’importance que les autres. Pas facile de rivaliser avec RZA et GZA en termes d’inventivité ou de talent, ni avec Method Man ou ODB en termes de folie et de flows expérimentaux. Mais Ghostface Killah a sans doute été un des membres les plus importants et les plus présents de toute cette grande famille. L’aventure n’aurait pas pu s’écrire sans Dennis Coles (son vrai nom), qu’on a également rapidement appelé Ironman ou Starks (vous comprendrez pourquoi), son flow incroyable, et ses histoires remplies d’émotions et de rage.
Car Ghostface est véritablement un des membres les plus talentueux du Wu-Tang et de l’histoire du hip hop, un vrai compteur d’histoires, un planteur de décor habile comme peu d’autres. Il met une dose de métaphysique dans son rap, avec toutes ses significations multiples (le ri des doubles, voire des triples sens), qui laissent l’esprit des auditeurs libres de projeter ce qu’ils imaginent de l’univers du Ghost et du Wu-Tang, et c’est ce qui explique que ça ait autant touché les gens. Et comme il a 48 ans aujourd’hui, on va profiter de son anniversaire pour se repencher un peu sur son cas !
Un kickeur plein d’espoir et boulimique de rap
Il est très compliqué de retracer la carrière de Ghostface Killah, ne serait-ce que parce qu’il est très, très longue. Ses premières apparitions notables datent de 1992/93, et il est toujours en activité aujourd’hui. Entre temps, il aura sorti pas moins de 12 albums solo, 6 albums communs avec d’autres rappeurs (Method Man, MF Doom), et enfin 7 avec le Wu-Tang Clan. Soit environ un album par an à peu près (il en a d’ailleurs un de prévu pour 2019). Ces chiffres disent une chose : Ghostface était un vrai boulimique de micro, incapable de s’en éloigner trop longtemps. Car, comme presque tous les membres du Wu, le rap, c’est leur vie, leur principale source d’épanouissement depuis très jeune, eux qui en écoutaient déjà beaucoup avant de s’y mettre.
Comme le reste du groupe, il se fait connaître grâce à un couplet rempli de hargne et d’egotrip avec “Protect Ya Neck”, en 1993. Puis vient sa première “Masterpiece” avec “Enter The 36th Chamber”, le premier album du Wu-Tang Clan, un des meilleurs disques de rap de tous les temps. Un disque où il fait très bonne figure au milieu de toutes les autres légendes, comme sur “Can It Be All So Simple”. Puis vient la première collaboration sur le classique de Raekwon, “only Built 4 Cuban Links…”. Un véritable OVNI sur lequel Rae et Ghost ont amené une dose supplémentaire de “street reality” et d’attitude gangster dans l’univers du Wu-Tang. Car les deux rappeurs de Staten Island faisaient partie des plus Thug de la bande, clairement, et c’est d’ailleurs aussi pour ça qu’ils s’entendaient si bien. Puis vient, en 96, le premier projet solo de Ghostface Killah : “Iron Man”, un de ses plus réussis à notre avis. Il contient notamment les excellents morceaux “Wildflower” et “Fish”, des petits bijoux du rap East Coast du milieu des 90’s. Ici, à la rédaction, c’est notre projet préféré du Ghost, et un des meilleurs projets solo de tous les membres du Wu confondus.
Un avis qui n’est toute fois pas l’avis de tous, car ses 2 projets suivants, “Supreme Clientele” et “Bulletproof Wallets” (en 2000 et 2001) seront également excellents. Le deuxième amorce un véritable virage vers quelque chose de moins gangster, de moins tourné vers la richesse, après un voyage en Afrique qui aura secoué Ghostface Killah et sa vision du monde. Et en même temps, il aura aussi été le début d’une rivalité entre le Wu-Tang et le G-Unit, dont le Wu-Tang est sorti gagnant, du moins dans le cœur des amoureux de hip hop. Le troisième a une allure beaucoup plus musicale, et les thèmes sont plus “doux / amers”, avec ce succès, cette notoriété, cette richesse qui monte, et Ghostface qui a l’impression d’être piégé sur un chemin qui l’emmène droit dans le mur. Quelle que soit sa vie, il s’en est toujours inspiré pour kicker ses story-tellings, ce qui fait que ses disques ont toujours pu avoir une certaine reconnaissance auprès du public, qui a suivi l’histoire du jeune Corner Boy de Staten Island devenu roi du rap avec ses potes.
Moines Shaolin, Comics et mafieux
Mais Ghostface Killah, ça n’est pas qu’un excellent rappeur, qui débitait des histoires de rue incroyables avec un débit fou, et une vraie énergie, l’espoir de celui qui a commencé tout en bas et qui réussi à grimper. C’est aussi un membre du Wu-Tan, avec tout ce que ça comprend en termes d’egotrip, de références cachées / perchées, de double sens, de mysticisme, d’argot de la rue. Comme tous les autres, Ghost’ donne des leçons de “street knowledge”, que vous retrouverez plus tard dans tout le hip hop : attention aux téléphones, ne jamais moucharder aux keufs, faire gaffe aux crackheads qui sont de plus en plus violents et agressifs, rouler seul ou avec une équipe de gars de confiance, mettre les siens à l’abri. Puis, plus tard, attention aux femmes, ne pas s’attacher à n’importe qui sous peine de risquer de perdre toute ses richesses, tenir les labels par les couilles s’ils ne voulaient pas se plier aux volontés de l’artiste. Bref, les 10 Commandements version Staten Island.
Une bonne dose de street knowledge, mixée à tout un tas de références qui ont fait la base du rap du Wu-Tang. Parmi elles, évidemment, les références Marvel, qui auront d’ailleurs donné le nom de son premier album solo “Ironman” ainsi que de multiples surnoms au rappeur : Tony Starks, ou encore Starky Love, voilà comment il s’appelait lui-même dans ses premiers disques. Une référence assez bien trouvée, car comme lui, Ghostface a un côté très technique, et même “technologique” dans son approche du rap, comme sur “Supreme Clientele” où il a apporté des prods d’un type assez nouveau, avec du tout nouveau matos (son studio a été englouti par les eaux, ce qui l’a obligé à renouveler son équipement). Comme lui, surtout, Ghost’ a pas mal d’humour et d’arrogance, il est plutôt doué, et il s’agit d’un esprit libre.
Un esprit libre qui l’aura poussé à clasher plusieurs MCs comme par exemple Notorious BIG et Bad Boy Records en général. Il les accuse de voler le travail d’autres artistes, mais il attaque également 50 Cent, Yayo et le G Unit, ainsi que Ma$e. Bref, comme beaucoup de membres du Wu-Tang, Ghostface a une vision assez “élitiste” de son rap, avec la volonté de faire de la musique qui élève, d’être original, et ne supporte pas les MCs non authentiques, ni ceux qui recopient le travail des autres. Un côté intransigeant et dogmatique, emprunté aux films d’arts martiaux dont le Wu-Tang raffole, avec ses préceptes, ses maîtres, ses élèves. Ghostface Killah, à 48 ans, fait partie des maîtres. Il en était d’ailleurs déjà un à 21 ans lors de ses débuts dans le rap. Un maître du rap et de la “vie de rue”, lui qui a également beaucoup donné dans la métaphore mafieuse, et lorsqu’on arrive à parler de ninjas, de Comics Marvel, tout en restant crédible dans son rôle de Gangsta Rapper c’est qu’on a beaucoup de talent et d’imagination. Ghostface avait les deux, et avec ça, il a marqué le Hip Hop à jamais (et continue de le faire, avec moins d’impact cependant), et on lui souhaite donc un joyeux anniversaire. On vous a mis une de ses dernières apparitions juste en dessous, pour que vous puissiez juger ! Merci pour tout Mr. Starks !