2017 côté hip hop : la mort de Prodigy.

2017 a été une année extrêmement riche en événements, et particulièrement en ce qui concerne notre hip hop chéri. Des événements sur lesquels il est bon de revenir avant de laisser tout ça derrière nous et d’attaquer en beauté 2018, qui sera certainement au moins aussi agitée. Rassurez-vous, on ne va pas vous servir l’éternel zapping de Noël version hip hop, on a trop de respect pour vous, mais on va tenter de se pencher sur les événements marquants qui ont fait de 2017 un cru si exceptionnel.

Et pour commencer, on va vous reparler, évidemment (ou plutôt malheureusement…) de la mort du regretté Prodigy, décédé à 42 ans. On a d’abord cru que son décès était dû à sa maladie, la drépanocytose, mais c’est finalement un simple œuf dur qui aura eu raison de ce grand génie du rap. Car si l’entièreté du monde du hip hop a pleuré sa mort, c’est que Albert Johnson (son vrai nom) était un maestro, un vrai, de ceux qui changent radicalement le visage d’une musique.

Ses débuts dans le rap correspondent à ce qu’on pourrait appeler ”l’âge d’or du rap”, au tout début des 90’s. Mais malgré une concurrence acharnée (Tupac, Biggie, Dr.Dre, Snoop Dogg, le Wu-Tang, sont aussi de sacrés légendes), Mobb Deep et Prodigy ont réussi à faire plus que rentrer dans l’Histoire du rap: ils lui ont indiqué une direction, un chemin sur lequel énormément de MCs ont tenté de s’aventurer par la suite. On pourra donc dire qu’il y a eu un avant et un après Prodigy. On va essayer de vous expliquer pourquoi.

Prodigy : un rap brutal et sans concessions

Le rap a depuis ses débuts été sujet à des tiraillements: est-ce une musique qui doit faire oublier aux jeunes des quartiers leur quotidien difficile en les faisant danser? Ou est-ce au contraire une arme de revendication sociale, avec laquelle les MCs appellent les leurs à s’organiser en communauté autonome puisque l’Etat les abandonne? Prodigy n’en a pas grand chose à foutre de ces considérations métaphysiques: il est là pour frapper l’auditeur en pleine face avec des lignes tranchantes, sombres et effrayantes. Et s’il y a moyen de se faire beaucoup de thunes, alors tant mieux. Il a suffisamment traîné dans les rues du Queens pour savoir que quand il y a de l’argent à prendre, il ne faut pas hésiter une seconde.

Mais Prodigy ne fait pas du rap pour l’argent. Son rap est une sorte d’exutoire, de défouloir, aussi bien pour lui que pour ceux qui l’écoutent. Il y décrit son quotidien dans la jungle de béton qu’est New-York, de manière extrêmement sombre et hyper agressive. C’est ce qui interpelle en premier lieu: Prodigy n’hésite pas à parler de misère et de criminalité, mais il n’attend absolument pas que l’Etat ou la société lui tende la main pour s’en sortir. Au contraire, il est extrêmement fier de venir de là où il vient, d’avoir fréquenté les malfrats qu’il a fréquenté. Il est fier de faire peur, et de représenter, d’une certaine manière, le cauchemar des Etats-Unis: un jeune noir très remonté, intelligent, déterminé à prendre le plus de sous possible à l’industrie de la musique. Une figure qui aura été imitée jusqu’à aujourd’hui encore, avec des artistes comme Kodak Black, qui tentent de pousser encore plus loin le délire “cauchemar des USA”, même s’ils n’ont pas tous le talent et la justesse de Prodigy.

Prodigy et Mobb Deep, le “vrai” hip hop?

Une industrie qui aura d’ailleurs bien craché au visage de Prodigy et de son groupe Mobb Deep. Leur premier album, “Juvenile Hell”, a été très mal reçu par le public à l’époque, en 1993. Ils ont même été virés de leur label, à cause des ventes, mais surtout à cause de l’image ultra-violente qui a rapidement collé à la peau du groupe, notamment à cause des morceaux “Bitch Ass Niggas” ou “Hit it from the back”. Un obstacle qui n’en a finalement pas été un, puisque les deux MCs ont persisté dans leur hip hop “sale” et “dur” et ont fini par rencontrer le succès qu’on connaît.

On peut dire que d’une certaine manière, Prodigy incarne une certaine vision du vrai hip hop, dans le sens où, comme tous les gars de la rue, il aura galéré pour s’en sortir, même dans le rap, un domaine où venir de la rue était alors plutôt un “avantage”, car ça fait beaucoup, beaucoup de choses à raconter. Et Prodigy en a raconté énormément. La principale oeuvre de sa carrière a été de montrer que le rap n’est pas forcément de la poésie, pas uniquement des jeux de mots ou des rythmes pour faire du break et danser sur la tête. Le rap, parfois, ça peut aussi être un énorme coup de poing dans la gueule. Et pour ça, on ne le remerciera jamais assez.

Hardcore jusqu’à sa mort

Finalement, on peut presque s’avancer en disant que le bonhomme est à l’origine du rap hardcore, même si NWA (entre autres) avait déja bien déblayé le terrain. Prodigy est lui beaucoup plus réaliste, beaucoup moins funky, beaucoup plus visuel, précis et sale dans ses rimes, comme en témoigne le premier couplet de “Shook Ones Part.2”. Ce rap hyper réaliste, qui colle au bitume et à la vie de gangster de manière si précise que ça en devient presque effrayant, c’est lui qui en est l’incarnation. Certains tenteront de placer Nas devant lui, mais Nas n’avait pas, et n’aura sûrement jamais, le talent qu’a Prodigy, celui de décrire le “cauchemar américain” en seulement quelques lignes.

La carrière de Prodigy est incroyable de longévité et de qualité, même si évidemment, il n’aura pas toujours été aussi bon qu’au début des 90’s. Parfois un peu en dessous, parfois un peu malade et diminué, ça ne l’a pas empêché de collaborer avec toutes les générations de rappeurs new-yorkais qui lui ont succédé sur le trône. Preuve que “vrais reconnaissent vrais”, comme le dit si bien Booba, qui lui aussi a été un des fils spirituels de Prodigy, lors de ses débuts. L’influence de Prodigy est difficilement mesurable, car elle est énorme, et a touché tout le globe.

Mais on peut dire, en tout cas, que tous les gens qui ont commencé à rapper après 95 sont fans de Prodigy ou reconnaissent au moins la qualité de son travail. Et ça en fait, du monde. Ce côté hardcore qui est sa principale caractéristique fait rêver pas mal de rappeurs, encore aujourd’hui, et nombreux sont ceux qui auraient rêvé d’avoir son vécu ou sa plume, mais il n’y a qu’un seul Prodigy. Et on le remercie de tout notre coeur d’avoir fait ce qu’il a fait pour notre culture. On le félicite même, car ce côté hardcore aura été une sacrée barrière tout au long de sa vie, comme l’a rappelé Master P lors de l’hommage rendu à “P aux BET Awards. Alors que tout le monde semblait hyper ému, le Master a rappelé que jusqu’à la semaine dernière, Prodigy aurait été interdit d’entrée à cette cérémonie, que personne n’en aurait jamais parlé. D’ailleurs, il n’a jamais pu y être reconnu de son vivant.

Alors suivez la leçon de Master P: chérissez vos artistes préférés tant qu’ils sont encore là, car dans le rap, on a tendance à disparaître de manière assez rapide et tragique, ce qui a été le cas pour Prodigy. Rendez-vous compte, un album de Mobb Deep produit par The Alchemist était encore en préparation au moment où il a disparu. Quand on vous dit qu’il est hardcore jusqu’à la mort…

Repose en paix, légende.

Rémi
Rémi

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