On a vraiment commencé 2018 directement dans le vif du sujet, après une semaine de battements. L’album de Joe Lucazz nous a conquis, l’album de Grems et excellent, et c’est maintenant au tour de Sofiane de sortir un nouvel album, “Affranchis”. Et forcément, au vu de tout ce que le rappeur du Blanc Mesnil a fait en 2017, le projet est un des plus attendus de l’année. Car Fianso est la sensation du rap FR 2016 / 2017, il a détonné avec son style agressif et très énergique, fait d’avalanches de punchlines, de références populaires, d’appels à l’insoumission sous toutes ses formes et aussi de bonne humeur, me^me si ça ne se voit pas tout le temps.
Si les puristes sont toujours en train de disserter pour savoir si PNL sont oui on non de vrais rappeurs, la question ne se pose pas pour Sofiane : c’est un rappeur, et un excellent même. Mais il a montré qu’il était capable de faire des titres plus dansants, tout en restant très street et sans changer de personnage, comme “Mon Petit Loup” ou “Tout le Monde s’en fout”. On ne savait pas trop quoi attendre de ce nouveau projet, car jusqu’ici, Sofiane n’avait jamais connu un tel succès, et comme il fait du vrai rap de rue, il fallait voir comment le rappeur allait s’adapter à son statut tout frais de MC bankable. Car parfois, les rappeurs changent du tout au tout après avoir connu le succès. Mais visiblement, il faudra plus que du succès pour changer notre Fianso.
Du Sofiane très classique, et de grosses tentatives
Pourtant, l’album n’a au final pas grand chose à voir avec les deux précédents, “Jesuispassécheso” ou “Bandit Saleté”. 15 titres, avec seulement 3 chansons qu’on connaissait avant la sortie, plutôt que de multiplier les clips avant la sortie du projet, Sofiane a préféré garder quelques bonnes surprises bien cachées jusqu’au jour J. Les premières tentatives arrivent assez vite, avec “200” par exemple, où on retrouve Fianso avec un flow beaucoup plus saccadé, et très autotuné. Une bonne idée qui mériterait d’être travaillée un tout petit peu plus, même si le morceau est efficace, avec ce flow si particulier et ce rap toujours agressif même “adouci” à l’autotune.
Le projet contient aussi des morceaux clairement dansants destinés à être joués en showcase, ou au bar. Le morceau “Sa mère”, par exemple, est assez surprenant : on ne s’attendait pas du tout à ce genre de titre, mais si il doit y avoir des tubes sur un album pour être diffusé, autant que ce soit ce genre de chansons. C’est funky, c’est quand même bien rappé, et Sofiane donne tellement de la voix qu’on est obligés de valider ce refrain. Bref, efficace, rien à dire. Le morceau “Madame Courage”, avec Soolking, est assez particulier dans son style, surtout le refrain, mais aussi très efficace. On est ravis de voir plus d’influences venant du Maghreb, dans la manière de chanter, dans les instrus, etc… car le rappeur, qui scande son amour pour l’Algérie depuis ses débuts , est hyper légitime pour sortir ce genre de sons.
Pour le reste, on retrouve du Sofiane asse classique, avec des morceaux qui auraient pu se trouver sur ses albums d’avant, même si les prods de AriBeatz, Seezy, Proof et Zeg P sont globalement plus travaillées que sur les précédents opus. Le rappeur du 93 nous délivre de l’excellent kickage, comme à son habitude, avec des refrains parfois les plus bêtes et agressifs possibles comme sur “Cramé”, “Longue Vie” avec Ninho et Hornet, ou “Mistigris” avec Kaaris. Des bangers à la chaîne, des punchlines toujours plus nombreuses (même si on le trouve, à ce niveau là, un tout petit moins tranchant que sur “Jesuispasséchezso”), une vraie variété d’ambiances, avec un Fianso parfois très énervé, parfois complètement déprimé, écorché et au fond du trou comme sur “Je fais la fête” ou plusieurs autres morceaux.
Sofiane est donc un “Affranchis”, mais comme dans le film du même nom, la vie d’un Affranchi n’est pas un long fleuve tranquille, loin de là. Si Fianso est clairement un des gérants du rap game aujourd’hui, il est toujours aussi torturé, toujours à un cheveu de partir en vrille, comme tous les hyperactifs des quartiers qui ont trop longtemps souffert d’être mis à l’écart. Sofiane veut tout maintenant, car il a déjà trop attendu, et est prêt à faire la révolution pour prendre ce qui lui revient, on le voit dans “Coluche”. Il aura bientôt ce qu’il veut, mais il reste poursuivi par les démons d’une jeunesse passée à se battre dans la rue. Pour terminer, on peut parler des invités: Maître Gims fait ce pourquoi on l’a invité, avec un joli morceau humaniste à la gloire des métissages de cultures, Ninho et Hornet sont au taquet (surtout Ninho), et ça nous fait plaisir de retrouver le vrai Kaaris. Soolking est surprenant, Heuss L’enfoiré est très costaud sur “IDF”, et évidemment, Bakyl est toujours présent, fidèle au poste.
Un bon album complet et varié, avec des titres qu’on va entendre pendant très, très longtemps. Et en live, ça va vraiment être le feu.