Adieu 2019, et merci pour tous ces fantastiques albums de rap US

L’année se termine et l’heure est au bilan. Quels ont été les meilleurs albums de rap US 2019 ? Sans dresser de classement, on vous donne notre avis.

Si l’année 1998 a marqué le rap français, on peut aisément affirmer que 2018 aura été une année exceptionnelle pour le rap US. 2019 avait donc la lourde tâche de faire mieux, ou du moins aussi bien que l’année précédente. Une mission ardue sur le papier qui, nous ne pouvons malheureusement que le constater, s’est soldée par un échec. En effet, cette année, trop peu de projets se sont avérés profondément marquants, la faute à l’absence des gros monstres de l’industrie (Drake, Kendrick Lamar, Eminem, Jay-Z par exemple). Sans parler du déclin final de Kanye West, dont on préférera se souvenir qu’il a signé l’album rap de la décennie avec My Beautiful Dark Twisted Fantasy.

Phénomène notable cependant, la cuvée rap US 2019 a permis l’éclosion de nouveaux futurs grands noms de la scène hip-hop, pendant que d’autres artistes déjà plus ancrés n’ont fait que confirmer leur statut. Bien entendu, nous avons aussi eu droit à quelques surprises inattendue et de très bonnes factures. Bilan d’une année 2019 de rap US, en demi-teinte donc.

The Lost Boy -YBN Cordae

Si vous vous demandez encore à quoi ressemble une success story à l’américaine, demandez à YBN Cordae. Inconnu au bataillon il y a encore quelques années, il s’est fait remarquer en 2018, en tenant tête à J. Cole. On s’en souvient, cette année-là, le boss de Dreamville avait secoué la ruche du rap game avec son album KOD, un splendide manifeste anti-drogue, mais qui dans le même temps, fustigeait la nouvelle génération de rappeurs. Cela n’a évidemment pas plu au jeune MC originaire du Maryland, qui l’a fait savoir dans son freestyle “Old Ni**as”.

Adoubé par des grands comme Anderson .Paak à Pusha T, Chance The Rapper, Dr. Dre, Diddy ou Meek Mill, tous les regards était braqués sur lui cette année. Sous pression, son premier album, The Lost Boy n’a pas déçu. Loin de là. A seulement 22 ans, il a fait preuve d’une maturité artistique étonnante.

Autant capable de briller sur des productions modernes que sur des ambiances soulful plus à l’ancienne, YBN Cordae n’est finalement pas si perdu que ça. D’autant plus que le rappeur étonne de par le talent d’écriture dont il fait preuve pour son jeune âge. Sur cet album, il raconte ses difficultés du quotidien et ses histoires de familles personnelles d’une bien belle manière. Résultat ? Il est brillamment parvenu à réconcilier plusieurs générations de fans de hip-hop. Signe de sa grandeur, ce premier album a été nominé pour le Grammy Award de l’album rap de l’année.

Boogie – Everything’s For Sale

Au cours de cette décennie, être signé chez Shady Records, le label d’Eminem n’était en rien gage de réussite. Il suffit de regarder et constater les échecs de la cuvée Shady 2.0, portée par le groupe Slaughterhouse et le rappeur Yelawolf.

Visiblement, pour cette nouvelle génération d’artiste, Eminem et ses cadres ont appris de leurs erreurs, et Boogie représente l’un de leurs meilleurs prodiges depuis longtemps. Son premier album sous sa nouvelle étiquette aura assurément marqué 2019. Bien qu’il soit globalement maussade, mélancolique et introspectif, Everything’s For Sale est imprégné d’une richesse mélodique étonnante. Une ambiance qui colle à merveille avec le flow et le storytelling du rappeur de Compton. Dressant le portrait d’un artiste torturé, mais qui ne perd jamais espoir, cet opus ne pouvait pas mieux tomber pour les premiers pas dans le grand bain de Boogie.

A noter que Conway, Westside Gunn et Benny The Butcher, les autres membres de Shady Records qui redonnent sa gloire au gangsta rap, ont également tous signés d’excellents projets cette année, que ce soit en solo, ou sous l’étiquette de leur trio Griselda. Trois mentions honorables pour le prix d’une.

Gang Starr – One of The Best Yet

Dès son annonce avant même sa sortie, nous savions que cet album figurerait parmi les meilleurs de l’année. Pourquoi ? Simplement, car qui aurait pu imaginer que Gang Starr reprendrait un jour du service, et ce presque dix ans après la mort de son MC, Guru ?

Concocté par l’orfèvre du son new-yorkais DJ Premier, cet album a été autant une surprise qu’une réussite. Quand on est animé par l’amour du hip-hop et le respect à l’égard de son team mate historique, forcément ça fait des merveilles. En rendant Guru intemporel malgré une quasi-décennie écoulée depuis sa disparition, Preemo est parvenu à raviver la flamme de Gang Starr en prolongeant brillamment son héritage. Un simple merci suffira.

Freddie Gibbs & Madlib – Bandana

C’est en 2011 que le monde découvre le duo Freddie Gibbs et Madlib avec l’EP Thuggin’. Cantonné dans la sphère réduite de l’underground, le duo prend le temps d’affiner son alchimie et propose l’album Pinata en 2014 Cinq ans, c’est le temps qu’il leur faudra pour revenir sur le devant de la scène avec Bandana. Et quel retour ! Sur ce projet, le gangsta rap de Gibbs couplée aux productions chiadées de Madlib n’a jamais atteint un tel niveau de complémentarité. Il suffit simplement d’écouter l’opus pour s’en rendre compte.

En plus de leur album, les deux bonhommes se sont assurés une présence médiatique exemplaire cette année. Entre leur tournée mondiale, leur passage remarqué chez Colors, et surtout, leur concert Tiny Desk qui restera à coup sûr parmi les plus mémorables de tous les temps, on peut dire qu’ils on fait le taf. Comble du bonheur, une suite de leur alliance est déjà annoncée pour 2020, Montana.

J. Cole & Dreamville – Revenge of The Dreamers III

La promotion de Revenge of The Dreamers III restera sans aucun doute l’un des moments les plus marquants du rap en 2019. On la refait : en début d’année, J. Cole et tous les membres de son label Dreamville Records s’enferment en studio pour concocter leur troisième compilation. Subtilité de cette réunion en revanche : une centaine d’artistes, MC et producteurs de tous horizons sont conviés durant les sessions pour réaliser un projet collaboratif des plus ambitieux. Forcément, à mesure que les noms se succèdent, la hype s’est intensifiée. Pour combler les esprits curieux, un documentaire dans les coulisses des enregistrements a même été dévoilé.

Au total, 142 morceaux ont été enregistrés, et 18 d’entre eux ont été retenus (d’autres vont suivre dans la réédition du projet annoncée pour 2020). Plus qu’une compilation, ce projet prouve s’il en était besoin, que Dreamville s’est imposé, lentement, mais sûrement, comme l’une des famille musicale les plus importantes et talentueuses de l’Histoire du rap US. Avec Revenge of The Dreamers III, J. Cole et les siens peuvent se vanter d’avoir redéfini les contours de ce à quoi devrait ressembler une compilation dans toute sa splendeur. Croisons les doigts pour que d’autres s’en inspirent en 2020.

Anderson .Paak – Ventura

Anderson .Paak avait marqué les esprits avec son premier album sur le label de Dr. Dre, Malibu. Forcément, lorsque le Doc est annoncé aux manettes de son second opus, tous les regards se sont instantanément retournés vers lui. Malheureusement, le baptisé Oxnard ne fut pas à la hauteur et à vu son auteur s’égarer. Autant dire que lorsque Ventura, sa suite directe est annoncée pour quelques mois plus tard, les inquiétudes sont forcément là. Va-t-il s’enfoncer encore un peu plus ou brillamment rectifier le tir ?

Bingo, la deuxième option a primé. Sur Ventura, le crooner Californien a su renouer avec les sonorités smooth et californiennes qui ont fait son succès. De plus, le disque signe des collaborations de prestiges avec notamment Andre 3000, Jasmin Sullivan, et surtout, le regretté Nate Dogg, ressuscité pour l’occasion. Que demander de plus ?

EarthGang – Mirrorland

Les artistes de Dreamville ont beau avoir été omniprésents dans le rap cette année, ils avaient la lourde tâche de se détacher du collectif et du succès de la compilation ROTD III. Le challenge pour EarthGang était d’autant plus grand puisqu’il signait cette année leur premier album, après une succession d’EP tous acclamés. Pas le droit à l’erreur donc.

Résultat, ils n’ont pas démérité. Sur les traces évidentes de leurs pairs d’Atlanta, Outkast, Johnny Venus et Doctur Dot ont fait briller leur monde imaginaire et leur dualité sur l’album Mirrorland. Sublimé par une audace artistique et une richesse musicale surprenante, l’opus est une lettre d’amour adressée à la capitale géorgienne. Une ville qu’ils aiment pour le meilleur et pour le pire.

Si à l’avenir, le duo gagnera assurément ses lettres de noblesse en soignant un peu plus son écriture, ils peuvent être fiers d’avoir livré un album qui à coup sûr marquera la postérité pour sa fraîcheur, son avant-gardisme et son originalité. Cela bien sûr si EarthGang parvient à confirmer lors de la prochaine décennie.

Post Malone – Hollywood’s Bleeding

Galvanisé par son statut de rockstar revendiqué et obtenu en 2018, Post Malone a, avec son troisième album, Hollywood’s Bleeding, franchi une étape de plus dans sa carrière. Au sommet des charts toute l’année et encore aujourd’hui, il est devenu, plus qu’un rappeur, une véritable popstar.

S’il est l’un des artistes les plus écoutés en ce moment, c’est avant tout grâce à une audace artistique et une originalité sans égale. Capable, grâce à son sens inné de la mélodie et à sa palette d’influences infinie, de façonner des hits instantanés, le rappeur a pour ainsi dire, trouvé la formule secrète. Celle de faire des tubes, sans vraiment chercher à en faire.

Fidèle à ses influences entre rap, trap, pop rock, rock indé, métal, et country folk, aucun autre que Post Malone ne saurait si bien mélanger tous ces styles musicaux ensemble. Un melting pot unique qui réussit la prouesse d’être à la fois populaire et élaboré, sans pour autant être aseptisé.

2 Chainz – Rap or Go To The League

Sortir un projet en début d’année est un véritable danger pour un artiste. D’emblée, il prend le risque d’être oublié, tant les albums qui le suivent peuvent potentiellement lui faire de l’ombre, voire le faire totalement passer à la trappe. Malgré tout, certains sont si bien travaillés qu’ils résistent toute l’année au flot de sorties. Dévoilé le 1er mars 2019, Rap or Go To The League de 2 Chainz est de ceux-la.

Soutenu de Lebron James à la direction artistique, Tity Boi a livré ici un véritable blockbuster sportif sur lequel il est interdit de passer à côté. Près à fouler les parquets aux côtés du tôlier des Lakers, le rappeur de 41 ans montre ici qu’il a toujours autant de fougue au micro et qu’il est plus en forme que jamais. A l’écoute, on prend plaisir à écouter ses histoires de jeunesse, celles d’un jeune homme passionné par le hip-hop et la basket (il choisira donc finalement la première voie.), mais dont le quotidien fut rythmé par la vie de rue et le trafic de stupéfiants.

Si son opus n’est évidemment pas parfait, la faute à quelques passages peu inspirés, 2 Chainz nous prouve que bien vieillir dans le rap est possible, n’en déplaise aux mauvaises langues.

Plutôt discret sur le plan musical depuis la sortie de cet opus, (2 Chainz préférant se concentrer sur sa vie de famille et ses autres projets), il a tout de même terminé l’année en sortant un nouveau clip. Intitulé “Somebody Need to Hear This“, ce morceau luxuriant produit par StreetRunner qui laisse entendre que le vétéran d’Atlanta reviendra nous émerveiller plus vite qu’on ne le croit en 2020.

Rapsody – Eve

Sorties grandie de sa nomination au Grammy Awards pour son premier album Leila’s Wisdom, Rapsody se devait de frapper encore plus fort avec son second effort. C’est chose faite avec Eve. Vous l’aurez compris à la vue de son titre, cet opus est une ode à la Black Female Excellence. Long de seize titres, chacun d’eux s’inspire d’une femme afro-américaine d’influence. Des femmes qui, chacune à leur manière ont inspiré la talentueuse MC de Caroline du Nord. Oprah Winfrey, Queen Latifah, Nina Simone, Aaliyah et Michelle Obama n’en sont que quelques exemples.

Au-delà de son engagement politique et social assumé, Eve brille également par sa virtuosité musicale. Rapsody exalte son flow affirmé et sa technique d’écriture faite de nombreux jeux de mots habiles. Les producteurs 9th Wonder et ses acolytes de la team The Soul Council participent également grandement à la prestance royale de cet album. Un véritable chef-d’œuvre qui, contrairement à son prédécesseur n’a pas été nominé aux Grammy. Tant pis, Rapsody peut être fière de franchir une étape de plus dans l’ascension qui la rapproche lentement, mais sûrement, de toutes ses modèles

Denzel Curry – Zuu

Zuu, c’est le surnom donné au quartier de Carol City à Miami, là d’où est originaire Denzel Curry. Le titre n’a pas été choisi au hasard puisque sur cet album, le Floridien souhaitait dresser le tableau de sa ville natale, une ville toujours ensoleillée, mais dont les réalités cachent aussi leur lot de nuages sombres. Comme les grandes œuvres chauvines et régionales du passé, le rappeur est parvenu avec cet album a nous faire voyager à Miami, comme si on y était.

Musicalement, ce disque rend superbement hommage à l’héritage des sonorités propres au rap de Miami depuis les années 90. Un travail d’orfèvre rendu possible par le travail somptueux et majoritaire du duo de beatmakers Australien FnZ (Finatik N Zac) Ils travaillent avec Denzel Curry depuis de nombreuses années et ont grandement façonné son univers depuis ses débuts. Sur Zuu, ils atteignent un niveau de complémentarité encore jamais égalé avec l’artiste.

Avec des featuring 100% venus de Miami, Denzel Curry a su avec cet album, rendre le parfait hommage à sa ville. La terre de ses racines qui visiblement lui manque, lui qui habite aujourd’hui à Los Angeles.

Bonus : Yelawolf – Ghetto Cowboy

Voici un ajout purement subjectif à cette sélection : l’album Ghetto Cowboy de Yelawolf. S’il ne peut objectivement, pas être plébiscité parmi les albums de l’année, la faute à un trop faible écho médiatique, il s’agit plus ici de vous inciter à vous pencher sur un opus de qualité, proposé par un artiste depuis trop longtemps sous-estimé.

Talent gâché par une mauvaise gestion de carrière de Shady Records, le rappeur de l’Alabama n’a malheureusement jamais joui pleinement du soutien de son label, ni de la reconnaissance publique qu’il méritait. Pourtant, depuis sa signature en 2010 avec Eminem, il n’a cessé de grandir et d’évoluer, en proposant des projets toujours plus variés, en exaltant ses influences versatiles entre rap, rock, métal, folk, R&B et country.

Avec ce Ghetto Cowboy (son deuxième projet de l’année), il nous emmène une fois encore, au cœur des réalités de l’Alabama où winchester, les Chevrolet chromées, les grosses Harley Davidson et les bouteilles de whisky s’entrechoquent. En proposant à la fois des bangers efficaces, des morceaux de rap bruts, et des balades country magnifiques, Yelawolf prouve qu’il n’a besoin d’aucun grand nom pour exprimer son talent. Comme quoi, on peut aussi faire de grandes choses en totale indépendance.

Jérémie Leger
Jérémie Leger

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